Le recours aux banques alimentaires est un choix impossible. La plupart du temps, les clients se retrouvent dans une banque alimentaire parce qu’ils sont dans une mauvaise situation. Il peut s’agir d’une perte d’emploi, de problèmes de santé mentale ou physique ou d’une foule d’autres raisons. Pour Mark Leblanc, directeur général de la banque alimentaire de Shediac, il s’agissait au départ d’échapper à une famille violente, mais cela s’est avéré être l’une des meilleures choses qui auraient pu lui arriver.
« Quand j’étais jeune, j’ai rejoint l’armée en 10e année. Je voulais vraiment sortir de la maison, où régnait la violence. Après quelques années dans l’armée comme soldat, je me suis dit que j’avais assez d’argent pour traverser le Canada et explorer mes options, mais j’ai vite compris que, sans éducation civique, mes choix étaient beaucoup plus restreints. Je me suis retrouvé sans-abri à Calgary, et j’ai dû recourir à une banque alimentaire à plusieurs reprises. Un jour, pendant que j’attendais en file pour obtenir mon panier, une employée de la banque alimentaire m’a parlé d’une formation pour devenir camionneur. Grâce à son aide, j’ai ensuite été camionneur pendant près de 13 ans. J’ai finalement pu économiser suffisamment d’argent pour aller au collège et j’ai obtenu mon diplôme avec mention. C’est important de reconnaître que chaque petit geste compte. L’aide que j’ai reçue de la banque alimentaire ne se limitait pas à de la nourriture, elle m’apportait aussi un soutien par des gens attentionnés à ma situation. Elle m’a orienté vers d’autres services qui avaient le potentiel d’améliorer ma vie, et c’est exactement ce qui s’est produit. »
On peut appeler cela une coïncidence, mais pour Mark, c’était le destin. Ces expériences difficiles l’ont mené à sa véritable vocation : aider les gens qui vivent dans l’insécurité alimentaire.
« Pendant mes études collégiales, j’ai dû faire un stage. Je voulais vraiment travailler quelque part où les gens avaient besoin de moi et où mon travail comptait. On m’a proposé de nombreux stages dans des entreprises et au gouvernement, mais j’ai pensé que la banque alimentaire pouvait profiter de l’aide bénévole d’un jeune étudiant de niveau collégial pendant quatre mois. Alors, pourquoi ne pas donner mon soutien en retour? Lorsque j’ai commencé mon stage à la banque alimentaire régionale de Shediac, j’ai rapidement compris que j’étais probablement destiné à faire ce travail. Ce sont ces expériences de vie qui m’ont amené ici. Je peux vraiment établir des liens avec les clients et comprendre l’organisation parce que j’ai connu les deux côtés de la médaille. Ça me tient vraiment à cœur ».
Ayant travaillé dans une banque alimentaire pendant plus de quatre ans, Mark a connu des hauts et des bas, mais la pandémie a vraiment accentué certains défis, surtout auprès des clients.
« L’année 2020 a été éprouvante. Nous avons vu des industries fermer leurs portes, mais les banques alimentaires n’ont pas eu le choix de poursuivre leurs activités. Nous continuons d’être là pour les clients parce qu’ils ont besoin de nous. La pandémie a rendu la situation très difficile pour nos clients, en particulier ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale. La COVID-19 n’a pas arrangé les choses. Les personnes en situation de vulnérabilité ont dû s’isoler et rester seules. Parmi elles se trouvent les personnes âgées, celles qui vivent des situations de violence conjugale, les enfants qui sont dans des familles violentes et les sans-abri. Les gens les plus vulnérables de notre pays sont les plus durement touchés par la pandémie, sinon par la COVID-19 elle-même. Peu importe les circonstances. Nos banques alimentaires ont ressenti la pression, nous la vivons aussi. Nous sommes humains. Nous sommes dans le même bateau et cela a été très dur pour nous. Cependant, nous savons que nous allons passer au travers de cette épreuve, c’est ce que font les banques alimentaires. Nous savons nous adapter et surmonter les obstacles pour le bien de ceux que nous aidons et pour notre bien à tous. En fin de compte, cette pandémie aura fait de nous de meilleures personnes ».
Toutefois, cela lui a également permis de voir et de faire les choses différemment, et certaines manières de faire pourraient fonctionner au-delà de la pandémie.
« Cette période nous a permis de tirer bien des leçons utiles. Nous nous sommes rendu compte que nos pratiques antérieures n’étaient pas aussi efficaces que nous le pensions. Par exemple, nous avons compris qu’il valait mieux alléger les activités de la banque alimentaire. De la formation du personnel à l’achat et la distribution des denrées, la pandémie nous a vraiment forcés à sortir des sentiers battus Nous avons aussi appris à établir de meilleurs partenariats. Nous avons toujours été assez bons dans ce domaine, mais je pense que nous sommes encore meilleurs. Par exemple, nous sommes maintenant plus près du refuge pour femmes. Nous sommes conscients que nous pouvons nous entraider, et cela nous a permis de nous améliorer en tant qu’organisation et en tant que personnes. Nous sommes tous interreliés.
J’ai également constaté un plus grand soutien de part de la communauté et de nos organismes. Banques alimentaires Canada et Food Depot Alimentaire Nouveau-Brunswick ont été d’un soutien incroyable. Si Banques alimentaires Canada ne nous avait pas donné 15 000 $ pour acheter des denrées, nous aurions dû utiliser notre propre argent. Nous étions vraiment en difficulté. »
Mark a vu de nombreux clients au fil des ans. Bon nombre d’entre eux ont des histoires déchirantes à raconter, et certaines d’entre elles restent dans notre cœur à jamais.
« Toutes les 15 minutes, nous voyons un client différent avec une histoire unique. Lorsque la pandémie a commencé, je me souviens d’un client particulier qui avait le cancer. Il ne lui restait qu’un an à vivre, tout au plus. Quand les mesures de confinement sont entrées en vigueur pour la première fois, il est venu à son rendez-vous sans être au courant de l’ampleur de la situation. Nous étions tous occupés à essayer de réorganiser nos activités et il s’est présenté à la porte. Je l’ai informé de la situation et de la nécessité d’être prudent, car il ne savait pas du tout ce qui se passait. Je me souviens avoir pensé que si nous n’étions pas là, en plus d’avoir le cancer, cet homme souffrirait de la faim. Ce sont des choses qui me restent vraiment en tête. Nous sommes là pour les personnes dans le besoin, peu importe les circonstances. »
Parfois, les gens peuvent avoir honte de demander de l’aide, mais comme Mark a déjà été dans cette situation, il a des conseils à donner aux autres.
« Si vous avez besoin d’aide, communiquez avec nous. Nous sommes là pour ça. Je sais que ça peut être gênant, et notre équipe comprend que c’est dur pour l’orgueil. Nous pouvons tous nous sentir ainsi. Ce n’est pas agréable de demander de l’aide, mais il y a des moments où c’est nécessaire. Ce qui est formidable, c’est qu’il y a des gens dans ce pays qui sont prêts à vous aider. Plus important encore, vous nous viendriez en aide si nous en avions besoin. Nous n’avons pas peur de vous le demander. Nous savons que vous feriez de votre mieux, comme nous. »